Hommage posthume à mon ami Jean-Claude Boulard

Mon ami, le regretté Jean-Claude Boulard, utilisait souvent cette formule provocatrice « N’ont de refus que ceux qui demandent » ! En matière administrative, on ne peut mieux dire.

A titre d’illustration, je vous propose le récit d’une réalisation récente, d’urgente utilité publique, dont la mise en service imminente n’a été rendue possible qu’en restant en marge du droit.

Le département de l’Orne dont je suis l’élu est menacé de devenir un désert médical, selon la définition donnée par le Gouvernement lui-même. Celui-ci annonce d’ailleurs un grand plan national visant à lutter contre cette menace.

Il y a 3 ans, au printemps 2016, face au danger évident, nous décidons de créer une structure de santé à côté de l’enceinte du Conseil Départemental, forte de 10 cabinets médicaux destinés à y accueillir des médecins et professionnels de santé libéraux, salariés et retraités. Comme notre but n’est pas de faire d’abord du droit, mais de répondre à une nécessité de santé publique et d’accès aux soins des patients, nous nous concertons avec les acteurs de la place, afin d’aboutir à un projet cohérent répondant aux nécessités recensées et faisant consensus entre tous. Durant toute cette période, je perçois parfaitement les réflexes embarrassés de nos partenaires, cherchant à vérifier s’ils sont bien en ligne avec le droit supposé régir ce type de structure et cet exercice professionnel en commun. Je m’oppose vigoureusement à ce que notre projet soit déformé, affaibli, retardé, voire abandonné à cause de dispositions d’une vague circulaire retrouvée par un dogmatique dans sa discipline.

Nous sommes propriétaires des locaux, et les modifications extérieures sont quasiment nulles. Le permis de construire est délivré en octobre 2017 et les travaux sont immédiatement lancés, achevés et prêts à être mis en service en juin 2018.
On aurait pu imaginer que le but recherché, c’est-à-dire la réponse à l’urgence de santé publique, aux besoins des patients, soit satisfaite par une ouverture immédiate. Elle aura lieu le 18 mars prochain ! Soit 9 mois après l’achèvement des travaux !

Pour répondre à la formule magique de Jean-Claude Boulard, pourfendeur émérite des normes inutiles, le résultat se résume ainsi : 7 mois de chantier, 3 ans de papiers !

Dit autrement, si nous avions attendu les autorisations pour commencer notre chantier, il n’ouvrirait que maintenant, il ne serait livré et mis en service que dans un an ! C’est-à-dire 2 ans après la date d’achèvement qui a été la sienne, avec les coûts supplémentaires qui en résultent et les wagons de papiers y associés.

N’étant aucunement hostile à une instruction administrative raisonnable, j’ai saisi les autorités compétentes dès le 30 mars 2017, donc avant le commencement des travaux. Nous n’avons sollicité aucune subvention pour rester libres, et ne pas être contraints par des modalités pratiques conçues à Paris pour une population provinciale. J’ai été en contact permanent avec le Ministère concerné englué dans un droit qu’il avait lui-même produit, mais dont le luxe de détails l’empêchait d’autoriser des opérations correspondant exactement à ce qu’il annonçait dans son plan officiel.

Si j’ai voulu vous écrire ce récit anecdotique à l’échelle nationale, c’est d’abord parce qu’il est récent, que je suis en mesure de vous en garantir la véracité absolue, et qu’il illustre à la perfection ce que je vis depuis 10 ans comme Président du Conseil National des Normes. Les objectifs de politiques publiques correspondent généralement aux besoins constatés de notre population. Ils ne sont donc pas la cause de l’inertie de l’action publique. Le frein, l’entrave mortelle est le droit prescrit pour la mettre en œuvre. Celui qui applique toutes les règles à la lettre est assuré d’un dérapage tragique en délai et en coûts, tout en obtenant un résultat différent de ce qu’il a initialement souhaité. Celui qui pilote son projet en marge du petit droit abscons des circulaires tatillonnes respecte mieux les objectifs de politiques publiques dans un délai plus rapide et à un coût moindre.

La morale de l’histoire est que le mauvais droit entraine de la mauvaise dépense publique. Et que la simplification du droit qui régit l’action publique est la 1ère de toutes les priorités pour la rendre plus efficace et plus économe du fruit du travail des Français.

Chronique publiée le 14 mars 2019.