À l’occasion du colloque organisé par l’AEDP de l’Université de Rennes le 31 mars dernier « La simplification du droit est-elle une cause perdue ? », quelques mots doivent être dits sur la réforme territoriale de 2015. 

La question majeure de la simplification et de la qualité du droit, aujourd’hui en crise, et tout particulièrement s’agissant du droit des collectivités territoriales, gagne à sortir des positions de principes. Elle nous enjoint à analyser, sur un terrain aussi concret que possible, tant les relations entre l’État et ses collectivités territoriales que les relations des collectivités entre elles. Cet aspect de la relation État-collectivités est d’autant plus sensible que ces dernières sont devenues le bras séculier du premier dans de nombreuses politiques publiques dites « partagées ».

Si la simplification doit intervenir en amont, il convient également d’examiner cette simplification du point de vue de la mise en œuvre. En effet, si une norme peut se présenter dans sa forme, simple, son application peut recéler une grande complexité. Et c’est le cas des récentes réformes territoriales.

Afin d’investiguer ce sujet, je vous propose d’examiner les grandes ambitions portées par les réformes territoriales (1), les motifs des échecs constatés (2) et les pistes de solutions qui pourraient être envisagées afin de réformer structurellement le modèle institutionnel français (3).

 

  1. Les grandes ambitions des réformes territoriales

L’acte I de la décentralisation en 1982  — acte majeur conçu et adopté en très peu de mois — a été incontestablement bien écrit, sans descendre dans le détail des questions qui peuvent naitre sur chaque matière[1].  Il a permis de grandes avancées : à l’instar du transfert de la fonction exécutive des préfets vers les présidents de conseils généraux et régionaux, de la suppression de la tutelle préfectorale ou encore de la transformation des régions en collectivités territoriales de plein exercice.

Cette révolution institutionnelle a été notamment consolidée par l’acte II de la décentralisation opéré par la révision constitutionnelle de 2003. Elle a inscrit dans la Constitution l’organisation décentralisée de la République, la reconnaissance du principe de subsidiarité, le droit à l’expérimentation, et a par ailleurs consacré l’autonomie financière des collectivités territoriales[2].

La réduction du millefeuille territorial et de la complexité administrative

Les réformes territoriales successives ont toujours rêvé d’alléger le « millefeuille territorial », sous couvert d’une recherche d’amélioration de l’efficacité de l’action publique au plus près du citoyen et, selon l’expression nouvelle, « jusqu’au dernier kilomètre »[3]. Cette recherche n’a jamais vraiment connu de succès, et il n’a jamais été démontré de manière incontestée que le nombre élevé d’entités publiques ait été une cause majeure d’illisibilité manifeste pour le citoyen et un motif de coûts excessifs.

La clarification des compétences

Une autre préoccupation constante portée par les réformes a toujours été la clarification des compétences. L’échelon central a en effet considéré que cette clarification entre collectivités était une priorité, alors que ces dernières auraient davantage souhaité tracer une ligne claire entre leurs compétences et celles relevant de l’État.

La loi NOTRe de 2015[4], toujours très contestée dans les milieux locaux, a attribué des compétences désormais bien établies à chaque échelon territorial. Schématiquement, les régions sont aujourd’hui compétentes dans le domaine économique, les transports et l’aménagement du territoire, tandis que les départements interviennent en matière de solidarité et de cohésion territoriales. Les communes et leurs intercommunalités sont, quant à elles, compétentes dans le domaine de l’urbanisme, du logement et de l’environnement.

La suppression des financements croisés

Autre préoccupation récurrente des réformes adoptées : les financements croisés, c’est-à-dire l’intervention financière répartie entre plusieurs personnes publiques sur une même opération publique. Ce modèle de financement fut systématiquement associé, sans être une nouvelle fois totalement démontré, comme un accroissement des dépenses publiques, une complexité du montage des dossiers et une dilution des responsabilités entre intervenants.

La recherche d’économies budgétaires

Après 2007, les réformes territoriales, sans toutefois l’afficher explicitement, visaient moins l’amélioration du fonctionnement public que la réalisation des économies substantielles pour les finances publiques. C’est pour répondre principalement à cette préoccupation sous-jacente que diverses réformes sont apparues : l’obligation pour les communes d’adhérer à un EPCI, la création des métropoles et surtout la suppression de la clause générale de compétence des départements et des régions.

Deux mesures, aujourd’hui contestées illustrent parfaitement leur absence de lien avec une bonne organisation locale, obéissant davantage à des préoccupations financières.

D’une part, le feuilleton de la clause générale de compétence concernant les départements et les régions. La clause a été considérablement restreinte par la loi RCT de 2010[5], puis rétablie par la loi MAPTAM de 2014[6], avant d’être supprimée par la loi NOTRe de 2015. Ces épisodes illustrent une schizophrénie administrative inquiétante et une stratégie court termiste au détriment de la bonne gestion locale.

D’autre part, la réduction du nombre des régions de 22 à 13 et leur nouveau découpage territorial par la loi du 16 janvier 2015[7]. Elle a été réalisée sans concertation avec les parties intéressées et vécue comme une réforme injuste et incompréhensible, dont les effets économiques n’ont pas été évalués. Peu importe, recommençons, l’Exécutif prévoyant une nouvelle refonte de la carte territoriale qui augmenterait leur nombre.

Preuve s’il en est combien la France peine à trouver son organisation territoriale optimale, au détriment des acteurs locaux mais surtout des citoyens.

 

2. Les échecs des réformes territoriales

L’obsession de réduire le millefeuille territorial et l’illusion d’une clarification parfaite des compétences, corroborées par une méthode inadaptée et une cible mal identifiée, conduisent aujourd’hui à un abîme de complexité aggravant qui plus est les finances publiques.

L’obsession de réduire le « millefeuille territorial »

Le totem de la réduction du millefeuille territorial continue d’alimenter les débats sans démontrer qu’elle apporterait une concrète simplification du droit. De même, il n’a jamais été prouvé par des études ex post que les regroupements de collectivités aient produit des économies substantielles.

Cette idée selon laquelle la simplification de l’organisation territoriale serait génératrice d’économies semble tenace au sein de l’Union européenne. La France est régulièrement pointée du doigt pour son administration territoriale trop complexe, notamment du fait du nombre élevé de communes. Il semble que ces remontrances expliquent en partie les velléités de l’État quant à la fusion de communes, notamment via des dispositifs de fusion permettant de passer sous la barre symbolique des 35 000 communes. Il en va de même pour les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), dont le seuil a par exemple été augmenté à 15 000 habitants pour les communautés de communes.

Après tant d’années, il serait toutefois raisonnable de considérer que ce millefeuille est d’abord une donnée historique. Il ne pourra s’alléger que progressivement à l’initiative des communes elles-mêmes et par des incitations, comme le statut de commune nouvelle, et non par la prescription et la verticalité. 

La tentative de suppression des départements se sera également distinguée comme une innovation mal concertée, insuffisamment approfondie et tenant pas compte de leur diversité. Et finalement totalement rejetée, créant de la perplexité sur les conditions de son instruction. Cette tentative, qui n’a heureusement jamais abouti, est l’archétype d’une mesure suivant une méthode top-down révolue.

Les départements continuent à jouer un rôle précieux pour la population, notamment les plus fragiles. Ils sont parfaitement identifiables et identifiés par les citoyens, l’échelon territorial étant optimal pour la mise en œuvre de certaines politiques publiques (solidarité, cohésion, etc.). Les remettre en cause effriterait une nouvelle fois les relations entre les usagers et les agents publics, entre les élus locaux et les citoyens. Une telle réforme participerait à affaiblir la démocratie locale et à renforcer le sentiment aujourd’hui ancré de déconnexion entre l’État et les problématiques rencontrées par les citoyens.

Plus largement, cette volonté incessante de vouloir réformer structurellement l’organisation territoriale de notre État et les compétences des collectivités territoriales s’avère in fine contreproductive. Les réformes territoriales successives n’ont toujours pas démontré leurs bénéfices pour les finances publiques. La légende dit que les 25 milliards d’euros d’économie annoncés sont toujours (re)cherchés. Cet argument était tout bonnement sans fondement, relevant d’abord de considérations politiques que de motifs économiques, budgétaires et juridiques.

L’illusion de la clarification uniforme des compétences  

                  La recherche d’une clarification uniforme des compétences n’a pas davantage convaincu. La loi NOTRe n’ayant pas supprimé tous les enchevêtrements, ce qui est impossible en pratique, confirme l’existence « naturelle » de compétences partagées. Cette tentative de clarification brutale des compétences a par ailleurs eu pour effet de nuire à des situations locales parfaitement efficaces. Elle a également alimenté les désaccords avec les services du contrôle de légalité, sans pour autant générer des économies.

Cette méthode de clarification des compétences, conçue de manière uniforme et verticale, ignore et contrarie la capacité des acteurs locaux à organiser eux-mêmes une répartition correspondant à leurs souhaits, aux coutumes locales et aux caractéristiques propres de leur territoire.

En outre, comment arguer la simplification du droit lorsque des compétences sont dites « exclusives », mais peuvent être dans le même temps déléguées ? Sur ce point, l’exemple des transports est saillant : une telle politique aurait pu relever tout autant de la région que du département au regard de leurs compétences, ce qui impliquait de laisser une souplesse de gestion compte tenu des spécificités territoriales et des relations entre ces deux collectivités sur le plan local. Aujourd’hui, le cadre juridique en la matière est tellement illisible qu’il est difficile pour des juristes de savoir « qui fait quoi » en la matière.

Une autre affirmation a été démentie par les faits : celle selon laquelle la suppression de la clause générale serait génératrice d’économies, en évitant les financements croisés, et permettrait en sus de rationaliser les compétences et d’éviter les enchevêtrements. Or, comme l’a reconnu le Gouvernement lui-même, sa suppression « n’est pas déterminante pour la clarification de l’action publique locale »[8]. Sa suppression a, au contraire, générée une multiplication des dispositions législatives organisant la répartition des compétences entre les différentes collectivités territoriales.

Enfin, s’agissant des financements croisés, l’État est le premier demandeur de cofinancements dans les rares investissements qu’il réalise encore dans les territoires. On ne saurait confondre financement et compétence : il est naïf de croire que des compétences cloisonnées mèneront à un schéma simplifié des financements. De nombreux équipements ou services sont partagés utilement entre plusieurs acteurs, car de bonne gestion. Il est donc illogique et contreproductif de vouloir contrarier leur mode de financement. Il n’y avait aucun sens à ce que la suppression des financements croisés devienne une obsession des réformes territoriales successives.

Une méthode inadaptée, une cible mal identifiée, un bavardage normatif

                  La somme des difficultés rencontrées illustre l’importance du problème de méthode retenue par l’Exécutif dans la conduite de ses réformes locales. Si la taille des collectivités est un problème en soi, la verticalité en est un autre. Le mode de décision et d’élaboration obéit toujours à un schéma centralisé, du haut vers le bas.

Un exemple illustre parfaitement ce mode d’intervention publique : l’augmentation du seuil de population des intercommunalités de 5 000 à 15 000 habitants s’est réalisée sans l’accord de la majorité qualifiée des communes pour 15 % de l’ensemble des projets de fusion d’EPCI[9].

Sur le papier, l’organisation territoriale compte une baisse du nombre d’EPCI, et vise donc à simplifier l’organisation. Or, dans les faits, la question de l’applicabilité de la norme demeure : les EPCI situés dans des territoires faiblement peuplés couvrent un périmètre trop vaste pour leurs attributions, et les remontées des maires des plus petites communes se font plus difficiles. Le regroupement, loin de permettre une simplification du droit, a induit une perte de proximité.

Au-delà, il convient d’affirmer que la complexité de l’action locale ne résulte pas des relations entre les collectivités territoriales. Les réformes successives ont fait perdurer, si ce n’est aggravé cette complexité. La complexité provient des règles qui régissent les modalités de l’action locale plutôt que des relations que les collectivités entretiennent. Cloisonnées dans leurs compétences, celles-ci sont vouées à s’ignorer et à agir de manière indépendante, plutôt que de coordonner leurs actions (à cet égard, l’exemple des bâtiments construits à la limite des compétences communales et régionales, qui n’ont bénéficié d’un ravalement de façade que partiel en raison de leur rattachement à des collectivités différentes, est parlant). Contrairement au droit privé, où l’on peut agir librement sous réserve d’une interdiction, en droit public, les collectivités ne peuvent agir qu’en présence d’autorisations expresses. Or l’action locale nécessite une véritable coopération des collectivités de plusieurs échelons et, en l’absence de liberté contractuelle, la complexité provient des limitations à cette action par des règles trop nombreuses, trop rigides, trop précises.

In fine, les réformes successives peinent à trouver une organisation idéale car elles ne reconnaissent pas que l’organisation territoriale et les compétences sont nécessairement complexes, et qu’elles répondent à des facteurs exogènes au droit. Sous couvert de simplification, ces réformes ne font qu’alourdir le droit qui les régit.

Ces deux phénomènes complémentaires conduisent à un bavardage normatif sans précédent. La rationalisation, telle que réalisée, ne se mesure pas à l’apparence de simplicité mais au nombre de pages du CGCT, qui a triplé de volume en 10 ans. C’est précisément cette apparence de simplicité qui a conduit le Gouvernement dans l’erreur : la volonté réelle n’était pas de simplifier effectivement l’organisation administrative, mais de réaliser des économies. Elles ne sont pas au rendez-vous, alors que la complexité l’est !

Le Conseil national d’évaluation des normes constate quotidiennement cette inflation législative et la complexité qui en découle, ayant des conséquences économiques préjudiciables à l’action publique locale. Les charges nettes supplémentaires pour les collectivités territoriales et leurs établissements publics sont évaluées à 2,5 milliards d’euros en 2022, contre 791 millions d’euros en 2019, soit une augmentation de plus de 200 % en quatre ans[10].

 

3. Des propositions de solution avec celles relatives à la simplification du droit

« Tout simplifier est une opération sur laquelle on a besoin de s’entendre. Tout prévoir est un but impossible à atteindre » affirmait Portalis. Des pistes de réflexion peuvent être esquissées visant à offrir une plus grande souplesse aux praticiens et élus locaux et apaiser les relations entre l’échelon central et les collectivités territoriales.

Définir la libre administration dans une loi organique

Le contenu-même du principe de libre administration des collectivités est incertain. Si elle permet de fonder la compétence du législateur dans la détermination de ce principe, en dehors d’une relative autonomie financière largement tempérée par le juge constitutionnel[11], aucun contenu, aucune substance du principe de libre administration n’a clairement été dégagée par la jurisprudence.

Érigée en tant que norme de contrôle depuis 1979[12], elle permet d’en imposer le respect au législateur, notamment en subordonnant les atteintes à la libre administration à la réalisation d’un objectif d’intérêt général[13]. Elle bénéficie en sus de solides garanties juridictionnelles, en tant que liberté fondamentale protégée par la procédure du référé-liberté[14] et comme droit et liberté invocable dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité[15]. Cependant, les sanctions d’une atteinte grave ou disproportionnée à ce principe sont très rares (seulement 5 depuis 1983)[16].

L’interprétation silencieuse du Conseil constitutionnel vis-à-vis de cette notion appelle le législateur à définir la libre administration au sein d’une loi organique. C’est à lui que revient la compétence pour définir les principes fondamentaux relatifs à la libre administration des collectivités territoriales en vertu des articles 34 et 72 de la Constitution, plutôt que de laisser les juges et le pouvoir réglementaire à en fixer indirectement les contours. Prévoir une loi générale et de nature organique, en empêchant une intervention excessive du pouvoir réglementaire, permettrait aux communes, départements et régions, de disposer d’un principe lisible, effectif et protégé pour s’administrer librement et faire vivre les libertés locales. 

Consacrer la clause générale de compétence dans une loi organique

La question de la clause générale de compétence devrait également figurer dans une loi organique, selon les mêmes enjeux que pour la définition de la libre administration. Sa définition permettrait également aux collectivités d’intervenir volontairement, sans être expressément autorisées pour agir conformément à la doctrine traditionnelle du droit public.

Loin d’être la source d’enchevêtrements, elle permettrait, conjuguée à la liberté contractuelle des collectivités, une répartition cohérente des compétences, historiquement et culturellement informée. Cette solution viserait à rendre les collectivités compétentes et responsables pour régler des affaires locales en l’absence de compétences déjà attribuées. Les compétences obligatoires s’appliqueraient alors seulement en cas de carence, garantissant ainsi toujours l’intervention de l’autorité publique pour régler une situation locale particulière.

Rendre effectif le principe de subsidiarité

Le principe de subsidiarité souffre de sa valeur déclaratoire selon le Professeur Bertrand Faure. Sa portée est aujourd’hui très limitée, sinon inexistante, en l’état du droit. Et il n’est même pas mentionné expressément dans la Constitution. Ce principe seulement théorique s’explique de nouveau par une interprétation défavorable du Conseil constitutionnel[17].

Pourtant, il apparaît aujourd’hui nécessaire que celui-ci déploie ses effets. C’est simplement du bon sens : les collectivités doivent en effet pouvoir prendre des décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon. En effet, simplifier le droit applicable aux collectivités n’est pas synonyme de verticalité ou d’uniformité dans les règles qui leur sont applicables. Il est impératif de laisser une marge de manœuvre aux collectivités afin qu’elles puissent, dans le cadre de leur pouvoir réglementaire, appliquer de la meilleure manière la loi compte tenu des spécificités locales. La surproduction et l’hyper-précision font obstacle à la simplicité à l’échelon territorial.

Afin qu’il n’existe pas de disparités locales importantes, le législateur devra générer un cadre d’action clair et des objectifs identifiés. Toujours est-il que le principe d’égalité ne peut s’appliquer de manière aveugle, et le droit admet très largement aujourd’hui qu’en présence de différences de situation ou d’un intérêt général, on puisse y déroger[18] : il faut simplement le reconnaître aux collectivités.

Affirmer le principe de liberté contractuelle

La simplification de l’organisation du territoire ne saurait mieux provenir que des collectivités elles-mêmes, notamment par leur association. L’article 5 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen énonce que « tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas ».

Levons l’ambiguïté pour reconnaitre que cette disposition s’applique aux personnes publiques qui, parachevant le principe de subsidiarité, résoudrait les conflits de compétences. Ainsi, on retrouverait un régime libéral selon lequel les conventions légalement formées entre collectivités tiennent lieu de loi, sans qu’elles y soient explicitement autorisées.

Dans le même esprit, érigeons le consensus entre collectivités comme loi entre elles et n’appliquons la loi générale qu’en cas de désaccord. Inspirons-nous du droit privé, en cessant de croire ne pouvoir agir que sur autorisation, plutôt qu’à agir sous réserve d’interdictions. Faisons ainsi de la proximité le périmètre de droit commun de l’action publique. L’approche cloisonnée des politiques publiques est définitivement inadaptée et disproportionnée. Le contrôle des actes des collectivités par le préfet doit lui aussi servir de contrepoids d’une plus grande liberté laissée aux collectivités locales par l’usage d’un véritable pouvoir réglementaire individuel à chaque collectivité. En effet, c’est précisément sur ce critère que s’est appuyé le Conseil constitutionnel pour déclarer conforme les contrats pluriannuels, du fait qu’ils soient individualisés à chaque collectivité et non imposés de manière standardisée[19].

Évaluer ex post les réformes territoriales des cinq dernières années

La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008[20] a consacré la production des études d’impact accompagnant les projets de loi, afin d’identifier ex ante les conséquences techniques et financières des règlementations envisagées. Or celles-ci demeurent très souvent insuffisantes, soit par manque de volonté, soit en raison des difficultés à produire une évaluation qualitative satisfaisante[21]. Il est en effet très fréquent que les coûts financiers résultant d’une nouvelle règlementation ne soient pas évalués.

Ainsi, s’inscrivant en complémentarité avec l’évaluation ex ante, une évaluation ex post des réformes territoriales adoptées ces cinq dernières années s’avère aujourd’hui nécessaire. Cette démarche présenterait une utilité manifeste, afin de mesurer et évaluer les effets produits et de constater si les objectifs poursuivis ont été atteints. Sur cette base, des modifications de trajectoire pourraient être utilement engagées.

Le CNEN pourrait exercer un rôle précieux dans cette démarche, conformément à l’article L. 1212-2 du code général des collectivités territoriales qui prévoit que cette instance peut être saisie d’une demande d’évaluation de normes réglementaires en vigueur applicables aux collectivités.

S’inspirer de la LOLF pour concevoir une réforme d’ensemble

Plus largement, la nécessité d’une approche copernicienne s’impose pour relever le défi d’une nouvelle relation entre les échelons central et local. À l’image de ce qui a été fait pour les finances publiques, qui comptaient 36 échecs de réforme à l’initiative de l’Exécutif, c’est par une initiative transpartisane du Parlement que le défi a été relevé.

Pourquoi dès lors, ne pas imaginer pareille initiative émanant du Parlement, en étroite coordination avec le Gouvernement, pour engager un tel projet. Chacun serait dans son rôle constitutionnel. Et les chances de réaliser un croisement entre la méthode « top down » et celle « bottom up » seraient optimisées.

 

[1] V. notamment la loi n° 82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions.

[2] Loi constitutionnelle n°2003-276 du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République.

[3] V. notamment l’étude annuelle 2023 du Conseil d’État consacrée au « dernier kilomètre des politiques publiques ».

[4] Loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République.

[5] Loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales.

[6] Loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles.

[7] Loi n° 2015-29 du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.

[8] V. l’exposé des motifs de la loi MAPTAM précitée.

[9] Rapport d’information de l’Assemblée nationale sur l’évaluation de l’impact de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 relative à la nouvelle organisation territoriale de la République, décembre 2019.

[10] CNEN, rapport public d’activité 2019-2022, février 2023.

[11] Frédéric Lafargue, Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, n°42, « La Constitution et les finances locales », janvier 2014, p. 17 à 30.

[12] Conseil constitutionnel, décision n° 79-104 DC du 23 mai 1979.

[13] Conseil constitutionnel, décision n° 2012-660 DC du 17 janvier 2013.

[14] Conseil d’État, 18 janvier 2001, Commune de Venelles.

[15] Conseil constitutionnel, décision n° 2010-12 QPC, 2 juillet 2010.

[16] Jacques-Henri Stahl, Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, n°42, « Le principe de libre administration a-t-il une portée normative ? », janvier 2014, p. 31-41

[17] Conseil constitutionnel, décision n° 2005-516 DC du 7 juillet 2005.

[18] V. notamment Conseil constitutionnel, décision n° 96-380 DC du 23 juillet 1996.

[19] Conseil constitutionnel décision n° 2017-760 DC du 18 janvier 2018.

[20] Loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République.

[21] Rapport du Conseil économique, social et environnemental, Études d’impact : mieux évaluer pour mieux légiférer, Jean-Louis Cabrespines, septembre 2019.