Le droit de l’Union européenne constitue un apport majeur pour notre droit. Sa large diffusion dans le système juridique des États membres illustre l’intégration européenne par l’harmonisation d’un ensemble de normes et la conduite de politiques publiques communes. Dans cette perspective, les directives constituent un instrument original et efficace permettant d’établir des objectifs et des règles similaires à l’ensemble des États membres, en laissant le soin à chaque État de transposer lesdites règles européennes dans leur droit national.

Depuis plusieurs années, la France s’est disciplinée dans la transposition des directives et leur mise en œuvre : les retards de transposition ont reculé et le respect des obligations en la matière a été jugé à plusieurs reprises satisfaisant [1].

Cependant, des difficultés persistent dans l’ordre interne. Elles s’expliquent par une tendance française de plus en plus prégnante à surtransposer les directives européennes : les administrations françaises rajoutent en effet des dispositions juridiques allant au-delà des exigences prévues par la directive !

Malgré les nombreuses initiatives dans ce domaine, aucune solution ne permet aujourd’hui d’endiguer ce phénomène dommageable pour notre droit et la crédibilité de l’action européenne. Des actions concrètes et adaptées s’avèrent par conséquent nécessaires afin de limiter les effets néfastes résultant des surtranspositions.

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I – la transposition des directives constitue d’abord une obligation européenne, mais également une obligation constitutionnelle

La transposition des directives est d’abord une obligation européenne. Ma directive favorise la diffusion du droit européen au niveau national. Elle lie les États qui en sont destinataires quant à l’objectif à atteindre, mais leur laisse le choix des moyens et de la forme pour atteindre cet objectif dans des délais qu’elle fixe conformément à l’article 288 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. La commission peut engager une procédure contre un État qui ne respecterait pas l’obligation de transposition devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). En cas de transposition incorrecte ou tardive, il faut noter que la jurisprudence de la CJUE demeure très protectrice des particuliers [2].

Transposer les directives constitue ensuite une obligation constitutionnelle. Se fondant sur l’article 88-1 de la Constitution, le Conseil constitutionnel a en effet consacré une telle obligation par sa décision n°2004-497 DC du 1 er juillet 2004 portant sur la loi relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle [3]. Le contrôle du juge constitutionnel à l’égard des transpositions s’avère toutefois restreint : la loi de transposition ne sera censurée que si elle est manifestement incompatible avec la directive qu’elle entend transposer. De même, si la loi de transposition reprend fidèlement les dispositions de la directive mais demeure incompatible avec la Constitution, le Conseil constitutionnel ne censurera la loi que si lesdites dispositions vont à l’encontre d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France.

II – Le droit français souffre toutefois d’une tendance à la surtransposition des directives

La notion de surtransposition peut se définir comme « l’adoption ou le maintien de mesures législatives ou réglementaires allant au-delà des exigences minimales d’une directive » [4]. La surtransposition peut prendre des formes diverses : extension du champ d’application de la directive, introduction d’obligations plus étendues ou plus contraignantes que celles prévues par la directive, ou non exploitation de facultés dérogatoires autorisées par la directive. La surtransposition peut résulter de choix conscients de l’auteur de la norme ou des insuffisances du processus normatifs – parmi lesquelles les lacunes des études d’impact). En France, l’action de surtransposer est liée à deux phénomènes.

La transposition, d’une part, croît en complexité face à des directives de moins en moins prescriptives. Les États membres ne peuvent donc plus transposer purement et simplement le texte de la directive en droit interne car celui-ci ne comporte pas de dispositions précises et inconditionnelles. La transposition répond ainsi à un choix politique [5] qui conduit à un arbitrage entre une retranscription trop étroite et insuffisamment précise et une révision excessivement large des dispositions concernées.

De cette manière, la transposition des directives peut constituer, d’autre part, pour les administrations, une occasion de réformer ou réaménager l’ensemble des règles de droit dans le secteur considéré. L’excès de détails que peut engendrer une telle réforme complexifie l’appréhension de la norme pour les acteurs chargés de la mettre en œuvre et cristallise ainsi leur défiance à l’égard de l’action européenne, souvent perçue comme source d’inertie et d’inefficience. Or, les États membres sont, en réalité, responsables d’un tel phénomène. Plus largement, les surtranspositions nuisent à la compréhension du droit par nos concitoyens.

III -Malgré les outils juridiques mis en place pour contenir les surtranspositions, le CNEN ne peut que constater la persistance d’un telle pratique.

Cette « tendance française ancienne à la surrèglementation » [6] est diagnostiquée de longue date. Plusieurs circulaires et un guide de bonne pratique ont tenté d’endiguer ce mouvement néfaste pour notre droit [7] : malheureusement, sans succès… Par exemple, la circulaire du 26 juillet 2017 relative à la maîtrise du flux des textes réglementaires et de leur impact prévoit que toutes les surtranspositions non justifiées « feront l’objet d’un réalignement sur le niveau de contrainte exigé par l’Union européenne » [8].

Dans l’avis du 29 juillet 2021 rendu par le CNEN [9], le collège des élus a rappelé la nécessité de mieux identifier les dispositions relevant de la simple transposition des directives européennes et celles constituant des surtranspositions, réitérant dès lors des recommandations déjà formulées sur ce sujet. Plus largement, les représentants des élus constatent très fréquemment la persistance du Gouvernement à faire peser sur nos concitoyens, et sur les collectivités territoriales, son manque d’anticipation en la matière ou son échec à faire valoir les positions de la France lors des négociations au niveau de l’Union européenne.

La faible qualité des fiches d’impact accompagnant les projets de loi participe à l’évaluation imprécise des conséquences économiques résultant d’une transposition. Elle multiplie dès lors les risques d’aboutir à une surrèglementation. Ces surtranspositions sont en effet à l’origine de coûts supplémentaires qui pèsent directement sur les citoyens, les collectivités territoriales et les entreprises. Dans le secteur économique, l’écart de règlementation entre États membres porte directement atteinte à la compétitivité des entreprises françaises, dans un contexte où la reprise économique suite à la crise Covid-19 dépend plus que jamais de leur productivité.

IV- Pourtant, des propositions concrètes existent pour mettre un terme à cette pratique néfaste pour la France et l’Union européenne.

Des parlementaires, à l’instar de Mme Alice THOUROT et M. Jean-Luc WARSMANN, ont suggéré différentes solutions pour faire obstacle à cette dérive. Les deux parlementaires enjoignent notamment à identifier et justifier clairement les surtranspositions dans les études d’impact des projets de loi (et les fiches d’impact pour les projets de texte réglementaire), en enrichissant ces dernières d’une description du droit existant dans les autres États membres. Sans surprise, cette proposition basée sur une approche comparative est restée sans effet…

Le collège des élus du CNEN a également exhorté le gouvernement à adopter une nouvelle méthode normative pour éviter les surtranspositions [10]. À défaut de figurer dans deux actes distincts, les surtranspositions devraient a minima être explicitement justifiées dans le cadre des fiches et études d’impact transmises respectivement au CNEN et au Parlement. Un contrôle a priori permettrait ainsi de faciliter le contrôle d’opportunité pouvant être effectué a posteriori.

Cette nouvelle méthode normative pourrait également consister à réputer non-écrite toute surtransposition consistant à aller au-delà de ce que prévoit la directive. Par exception, une étude d’impact exhaustive permettrait de retenir certaines surtranspositions lorsqu’elles obéissent à des considérations particulières. Cette faculté conduirait à une plus grande transparence, et éclairerait les choix sur les surtranspositions choisies, sur le modèle des analyses d’impact de la réglementation existant au Royaume-Uni [11].

Enfin, s’inspirer des solutions retenues dans les autres ordres juridiques européens, développer des coopérations bilatérales renforcées en amont de la transposition, sont des solutions pérennes pour en finir avec les surtranspositions. A cet égard, dans le cadre de ses travaux, le CNEN a réalisé une étude comparative avec le Conseil national de contrôle des normes allemand, le Nationaler Normenkontrollrat (NKR) [12] : il porte une attention particulière sur les coûts engendrés par la transposition des directives. Le NKR réalise notamment un contrôle ex ante par lequel il s’assure que le Gouvernement fédéral ne transpose les actes législatifs européens que dans la mesure du nécessaire pour éviter des surtranspositions préjudiciables à la sobriété normative. Il participe ainsi à la défense en amont des intérêts de l’Allemagne, au cours des négociations avec les autres États membres.

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S’inspirer des bonnes pratiques dans la lutte contre les surtranspositions et mettre en œuvre des outils juridiques concrets constituent aujourd’hui une priorité afin d’améliorer notre culture normative. Les surtranspositions, lorsqu’elles complexifient les normes qu’elles entendent pourtant préciser dans notre droit interne, sont source d’instabilité et d’inflation normative, préjudiciable tant à l’égard de la crédibilité de l’action européenne que vis-à-vis de la cohérence du droit interne. Mettons fin à ce phénomène délétère pour l’Union européenne et ses États membres, il y a urgence !

 

[1] Conseil d’État, Étude annuelle « Directives européennes : anticiper pour mieux transposer », mars 2015

[2] Voir à titre d’exemple l’arrêt rendu dans l’affaire C-91/92 Paola Faccini Dori contre Recreb Srl (CJCE, 14 juillet 1994) ou encore les affaires C-6/90 et C-9/90 Andrea Francovich et Danila Bonifaci et autres contre République italienne (CJCE, 19 novembre 1991).

[3] L’article 88-1 de la Constitution dispose que « la République participe à l’Union européenne constituée d’États qui ont choisi librement d’exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l’Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, tels qu’ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007 ».

[4] Conseil d’État, Étude annuelle, « Directives européennes : anticiper pour mieux transposer », mars 2015.

[5] Ibid.

[6] Ibid.

[7] À titre d’exemple, voir la circulaire du 26 août 2003 relative à la maîtrise de l’inflation normative et à l’amélioration de la qualité de réglementation (NOR : PRMX0306838X) ou encore le guide de bonnes pratiques concernant la transposition des directives européennes du Secrétariat général des affaires européennes de 2011.

[8] Circulaire du 26 juillet 2017 relative à la maîtrise du flux des textes réglementaires et de leur impact (NOR : PRMX1721468C).

[9] Conseil national d’évaluation des normes, Avis du 29 juillet 2021, Délibération commune n°21-07-29-02606/02607/02608/02609/02610.

[10] Ibid.

[11] Sénat, Étude de législation comparée n° 277, « La surtransposition des directives européennes », février 2017.

[12] Rapport CNEN-NKR, « Rationaliser et évaluer les normes : regards croisés franco-allemands », septembre 2021.