L’objectif d’accessibilité et d’intelligibilité

Dans l’esprit de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le Conseil Constitutionnel a élevé au rang d’objectif de valeur constitutionnelle l’accessibilité et l’intelligibilité des lois et règlements. Nul n’est donc censé les ignorer. Pourtant cet objectif semble aujourd’hui réduit à un espoir impossible teinté de résignation voire de démission.

Le dégout des choses simples

Comme Kévin Hernot le démontre clairement dans son article intitulé « Le dégout des choses simples », les auteurs des actes législatifs et réglementaires s’étourdissent à produire une pluie torrentielle et intarissable de textes péremptoires, d’une telle sophistication qu’ils en deviennent inaccessibles, entraînant dès lors une forme de paralysie ruineuse de l’action publique.

Il faut simplifier ! Disent les Présidents

Le diagnostic est pourtant unanime. Tous les Présidents de la République l’ont dit et promis depuis 30 ans : il faut simplifier ! Mais Gouvernement, Parlement, et administrations centrales continuent imperturbablement, telle Pénélope en attendant Ulysse, à tisser une toile interminable de législations et de réglementations bavardes et tatillonnes, dans le candide espoir de pouvoir, par le droit, régler tous les problèmes de la société.
Si chacun s’accorde à reconnaître cette médiocre situation, plus difficile est l’exercice consistant à en identifier les causes exactes et les inévitables enchainements qui y conduisent.

L’émotionnel l’emporte sur le rationnel

Kévin Hernot, avec élégance et respect, décrypte discrètement pour nous le code génétique de notre culture administrative, nous laissant découvrir par nous-mêmes les ressorts susceptibles d’expliquer l’impasse dans laquelle nous persistons à nous enfoncer. Le vocable « dégoût » utilisé dans son titre m’a d’abord interpellé puis immédiatement révélé combien le goût immodéré de la complexité, cultivé par nos producteurs de droit, ne relève pas d’un calcul rationnel mais d’une composante émotionnelle dont les racines sont profondément ancrées dans notre histoire. L’ivresse de la Révolution française, l’ambiguïté ensevelie entre ses inspirateurs et ses bénéficiaires, l’ascension des droits de l’homme en religion, la promotion simultanée et contradictoire des droits individuels et des droits collectifs, le rapide passage d’une tradition de respect de l’autorité à un soudain rationalisme scientifique, révèlent un bouillonnement sociologique volcanique propre à troubler plusieurs générations de politiques et de hauts fonctionnaires.

 

Le « théorisme » rigide comme refuge

Face à ces fulgurantes évolutions, le refuge dans un « théorisme » rigide semble avoir été une solution de confort ou un instinct de conservation. Au diable la réalité, puisqu’elle nous échappe, passons à cette société effervescente qui nous impose cette insaisissable réalité une camisole de confinement à toutes les libertés pouvant interpeller les pouvoirs publics. Lois, décrets, arrêtés, circulaires et autres actes servant d’armature indestructible pour assurer la stabilité et la solidité de l’édifice politique.

 

Le raffinement comme déguisement du réel

La pensée juridique française qui engaine la réalité du quotidien des Français dans cette épaisse armure paralysante l’enrubanne d’une impressionnante ornementation de textes mirobolants à la gloire des libertés. Nos lois et règlements s’apparentent à des effets d’habillement de soie, de dentelles, de taffetas, de satin sous forme d’un droit raffiné, savant et tatillon auquel s’affaire toute une cohorte de plumitifs consacrés à l’art législatif et réglementaire comme l’étaient pour l’art vestimentaire, les brodeurs, plumassiers ou autres tissutiers-rubaniers du 18ème siècle.

Le marteau de la loi frappe aveuglément sur l’enclume de la réalité

La théorie juridique a atteint un tel sommet d’irréfragabilité qu’elle parvient même à rendre virtuelle la réalité, en tordant la pratique jusqu’au mépris du plus humble principe de réalité, provoquant ainsi ce que Kevin qualifie pudiquement de « dissonance cognitive ». Et que plus vulgairement je ne résiste pas à décrire comme un moyen de coincer les Français et leurs élus locaux frappés entre le marteau de la loi et l’enclume de la réalité.

 

Le charme des idées par préférence à l’insipidité de la réalité

Cet inconfort permanent nous est souvent présenté comme une faveur, celle d’habiter un « Pays d’intellectuels », là où l’on préfère succomber au charme des idées plutôt qu’à l’insipidité de la réalité. S’il est vrai que la réalité peut décoiffer des idéaux, défriser des constructions intellectuelles complexes, gorgées d’intelligence et de finesse, le réalisme a le mérite de ne pas mépriser les gens humbles et les choses simples de la vie quotidienne.

 

En finir avec les excessives contraintes sur le détail de nos vies

Le temps est donc venu à plus de simplicité. A cesser le raffinement pour le plaisir de l’esprit. A cesser aussi de conférer à tant de pouvoirs de contrainte le détail de nos vies. Oui le temps est venu de cesser ce que Kevin appelle « le chichi » selon la formule de Clément Rosset qui décrit la complexité comme le dégout du simple.

 

Fendre l’armure de la complexité pour libérer l’efficacité du droit

Pour rester la France au niveau de l’idée qu’elle se faisait d’elle-même, nous devons nous coaliser pour mobiliser tout le bon sens des Français, et imposer des solutions concrètes et simples aux problèmes abstraits, pour fendre l’armure de la complexité du droit afin de libérer son efficacité.

 

Nous demandons que renaisse une société de confiance

Nous citoyens, élus, entrepreneurs, en activité ou retraités, nous requérons que cessent l’inflation, la complexité, l’instabilité des normes juridiques qui minent nos projets et nos vies, nous acceptons d’affronter la réalité en face, enfin débarrassés de la prolifération normative qui cherche à nous convertir à la croyance fausse que le droit positif saurait remplacer la raison naturelle, dans le détail de nos vies. Nous refusons que l’on nous impose des contraintes excessives liées à la lettre des textes, préférant nous en remettre à leur esprit. Nous attendons que renaisse enfin entre l’État et nous un sentiment sans lequel aucune vie n’est possible : la confiance !

 

Retrouvons ensemble le gout des choses simples

Si « nul n’est censé ignorer la loi », nul n’est assez insensé pour prétendre la connaitre et la comprendre. C’est pourquoi nous n’avons pas d’autres solutions que retrouver ensemble « le gout des choses simples » !

Relire l’article de Kevin Hernot : « Le dégout des choses simples ».

 

Chronique publiée le 05 août 2019.