À l’heure où le monde s’oriente inexorablement vers un « tout numérique », ce vendredi 7 octobre 2022 a été l’occasion pour le Notariat international de présenter les progrès continuels qu’il accomplit, depuis maintenant plusieurs années, dans le domaine 2.0. 

C’est lors d’un colloque organisé par la Fondation IRENE[1], que le Conseil Supérieur du Notariat s’est transformé, l’espace d’une journée, en un laboratoire d’idées innovantes. Organisé en partenariat avec le Conseil des Notariats de l’Union Européenne et la Commission des Affaires Européennes, ce colloque a permis de mesurer l’ambition des notariats de divers pays (Italie, Grèce, Allemagne, Belgique et bien d’autres encore), qui sont tous engagés dans les nouvelles technologies, avec des présentations pratiques et concrètes.

Ayant eu l’honneur d’ouvrir ce colloque, il m’est revenu de porter la parole des pionniers, qui ont cru dans le support numérique pour les actes de l’autorité publique. Cela a alors été l’occasion de réaffirmer l’importance de ce passage à cette nouvelle ère, qui, il faut le comprendre, n’a pas pour but de fonder une nouvelle société, mais d’accompagner son évolution.

 

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I. La numérisation à la fois réalité et opportunité mais dans tous les cas une nécessité 

La difficulté que fut la notre a été de convertir à cette noble cause les quelques réfractaires de l’époque, mais la question aujourd’hui est simple : avons-nous la nostalgie du 20ème, 19ème ou 18ème siècle ? Ou souhaitons-nous offrir aux générations futures les clés de la réussite du 21ème et de la préparation du 22ème siècle  (A) ? Le numérique s’avère être l’une des clés qui permettra à la profession de se métamorphoser, afin d’offrir ses meilleurs services aux citoyens (B). 

 

A) La recherche de la pérennité du contenu à travers le contenant

Quel qu’aient été leurs noms au fil des siècles, les notaires — comme tous les Officiers publics —- n’ont pas été de simples graphistes sur du papier. Bien au contraire, occupant depuis toujours une place centrale dans la société, ils ont été investis par le souverain de leur État, et dont ils puisaient leur légitimité, pour conférer à leurs actes, en leur nom, et au nom du Peuple, le caractère de l’authenticité, c’est dire le caractère de la foi publique incontestable, la force probante et la force exécutoire.

Conscients de cette immense responsabilité, ils n’ont cessé de s’interroger sur le support de leur œuvre : tablettes d’argile, papyrus, papier timbré, papier, fichier numérique et demain peut-être le métavers. L’idée derrière ce changement constant de support a été depuis toujours la même : garantir la pérennité du contenu. Une obsession, qui a terme, les a rendus myopes. D’ailleurs, quelques siècles en arrière, Alfred de Musset écrivait « qu’importe le flacon pourvu qu’on est l’ivresse », pour le notaire il valait plutôt dire « qu’importe le contenu de l’acte pourvu que l’on ait l’ivresse du papier ».  Mais ne sommes-nous pas tous obnubilés par le papier ?  Les papiers ? Avons-nous nos papiers ? Où que nous soyons on nous demande nos papiers.

 

B) Le numérique, clé d’un futur plus serein

Pendant des siècles durant, le papier a été l’unique support du droit. Le seul compagnon de confiance. Mais l’avènement du digital nous a offert de nouvelles opportunités. Aujourd’hui, il n’est pas question de refréner cet ancien support qui conserve ses mérites. Il faut tout simplement oser se réinventer. 

C’est une chose qu’à très rapidement saisie le Notariat français. Les évolutions techniques se sont précipitamment imposées et les notaires ont alors pris conscience que le support de leur œuvre se métamorphosait. Il s’agissait d’un changement, peut-être, difficile à accepter au début mais qui s’avérait nécessaire. En réalité, nous n’avions pas le choix. C’est de cette façon que la profession a su spontanément se saisir de l’opportunité liée à la « numérisation », affirmant par là même son intention inébranlable d’entrer dans l’ère du numérique.

 

II. Un changement de paradigme primordial pour la société 

Le numérique répond à une forme de changement social et appelle à une réorganisation de l’action publique sous la forme d’un changement de paradigme du mode de gouvernance pour, enfin, permettre de devenir une réponse crédible aux objectifs fixés par les pouvoirs publics (A). C’est la raison pour laquelle nous devons n’avoir de cesse que d’encourager cette avancée (B).

 

A) Le passage du matériel à l’immatériel : un enjeu de civilisation 

Très tôt, les notaires, comme Officiers publics, ont compris l’importance du numérique et ont su voir en lui une révolution technologique dont ils ne pouvaient ignorer les apports. Le virage a été pris il y a plus de 20 ans avec, notamment, la loi du 13 mars 2000 rendant possible la signature de l’acte authentique par voie électronique[2]. C’est ainsi qu’une première étape a été franchie et qu’elle n’a, depuis, cessé de s’intensifier. La profession a d’ailleurs été la première d’Europe à obtenir la certification de la signature électronique sécurisée en 2007[3].

À tel point qu’aujourd’hui, ce n’est pas moins de 20 millions d’actes qui sont reçus sur support dématérialisé. La vitesse à laquelle la digitalisation a investi la profession est la preuve que la République numérique n’est pas incompatible avec une République physique proche de ses citoyens. 

D’ailleurs, l’effort d’adaptation n’est pas si difficile. Il suffit d’accepter d’élargir notre façon d’appréhender le réel et de considérer que notre vie se déroule désormais sous deux dimensions : l’une matérielle et l’autre immatérielle. Ces deux dimensions ne sont pas nouvelles. Les formes changent avec le développement des sciences et des techniques. Comme il a été nécessaire de passer de la tablette d’argile au papyrus, puis du papier au fichier électronique, il s’agit aujourd’hui de proposer en option le « présentiel » et le « distanciel ».

Certes, cela change nos habitudes. Mais l’enjeu n’est pas là ! L’enjeu est juridique. Plus encore, il s’agit d’un enjeu de civilisation ! Dans le monde qui se globalise, s’internationalise, comment pourrions-nous continuer à porter les valeurs de l’authenticité, si l’autorité publique n’était pas, avec nous, présente dans le monde numérique qui se substitue progressivement au monde réel. La technologie a effacé toute distance entre les humains, quelle que soit leur localisation. Que cela nous plaise ou nous inquiète, c’est devenu un fait ! Une réalité ! Faut-il vouloir ignorer la réalité ou s’y adapter ? Il revient à nos législateurs d’en décider, encore faut-il les éclairer. L’enjeu est donc d’encourager les États à affirmer leur souveraineté, en inscrivant l’authenticité dans cet univers immatériel, face à la menace des monopoles privés et des GAFAM qui s’y préparent déjà.

 

B) La digitalisation : plus qu’un souhait, une réalité qu’il faut encourager 

La peur que le numérique ne soit pas en mesure d’assimiler des siècles de support papier doit être conjurée. Cette transition va de pair avec le développement constant de la société. Aujourd’hui, toutes les relations de la vie civile ou professionnelle sont transformées. Les exemples sont pléthoriques, il n’y a qu’à songer à la dématérialisation des relations administrations-usagers, médecins-patients, employeurs-employés, enseignants-étudiants… C’est donc sans surprise que le Notariat s’est, lui aussi, adapté à la mutation technologique ; voulant ainsi donner l’exemple, en s’y engageant parmi les premiers.

Et pour cause, au soutien de cette politique de dématérialisation, diverses vertus sont couramment avancées : la protection de l’environnement, une réduction des coûts d’archivage, des gains de temps dans la recherche documentaire, une centralisation des données numérisées avec un accès rapide à ces dernières, une transmission facilitée, ou encore un surcroît de sécurité.

Bien loin d’être un simple outil technique, le numérique a également vocation à réinventer la relation notaire-client, effaçant ainsi la distance entre ces derniers et in fine, rapprochant les citoyens des services dont ils ont besoin. 

Ainsi, ce qui semble aujourd’hui une audace folle n’est qu’une métamorphose progressive de ce qui semblera évident dans les prochaines années. Le notariat a donc bien fait de montrer qu’il était capable de s’adapter et d’exercer sa mission dans un environnement immatériel, de construire sa singularité dans l’univers juridique, d’améliorer sans cesse son offre de service public afin d’assurer la sécurité juridique partout et dans le long terme.

 

III. De la confiance mutuelle il faut, un nouvel avenir nous aurons 

Nous ne pouvons que constater cette belle évolution. Depuis les scribes de l’Égypte antique, en passant par les tabellions de Rome, ce défi constant de changement nous enseigne que l’esprit d’initiative et l’harmonie sociale nécessitent de la confiance mutuelle et des certitudes. Cessons alors d’associer le notaire aux plumes d’oie et aux archives poussiéreuses mais félicitons-les plutôt de leurs avancées. L’heure est à la transformation, qui dépasse le simple ajustement juridique pour réinventer un nouveau modèle de détermination et de conduite de ces politiques publiques désormais portées par l’innovation et les technologies.

Toutes les décisions qui ponctuent la vie des humains et qui engagent leur avenir, qui leur garantissent des relations apaisées, nécessitent des points d’appui incontestables sur lesquels ils peuvent fonder sereinement leurs décisions. L’un de ces points d’appui est l’authenticité dans son acception juridique : autorité et vérité. Celle qui dit vrai. Celle en qui on peut avoir confiance. L’authenticité est la « main publique » visible et souveraine qui doit veiller sur la « main invisible » du marché. C’est pourquoi le notariat ne doit pas manquer d’audace pour anticiper le futur et se mettre en situation d’y apporter la part de confiance sans laquelle les sociétés humaines ne trouvent pas de paix.

Ainsi, au crépuscule d’une vie entièrement et affectueusement consacrée à la fonction du notaire du type latin et plus généralement à l’action publique, comme élu, je vous conjure de ne pas avoir peur du progrès scientifique et technique. C’est par les travaux du Notariat du monde, qu’une lumière j’aillera pour éclairer un futur qu’il est temps de réenchanter !

 

 

 

[1] L’Institut des Recherches et d’Études Notariales Européen (IRENE) a mis en place un colloque consacré à l’analyse de l’utilisation par les notariats européens de l’acte authentique électronique et de la signature à distance des actes authentiques.
Programme consultable en ligne : http://www.fondation-irene.lu/article.php?rec_id=36171659995932.

[2] LOI no 2000-230 du 13 mars 2000 portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l’information et relative à la signature électronique. 

[3] MORAUX Anne, Transition numérique : les notaires à la pointe, Affiches Parisiennes, 2019.